“(...) and the first thing Nelson Mandela did was to forgive to his jailers.” Je me suis toujours demandé comment. Comment était-il imaginable que je parvienne à pardonner ceux qui m’avaient faire vivre les quatre mois les plus longs de mon existence ? Quatre mois d’enfer, de souffrance, de crainte. J’étais si jeune. C’était il y cinq ans, pourtant je m’en souviens comme si cela s’était passé hier. Lorsque je ferme les yeux, parfois, je me vois encore adossé au mur de ma cellule, le soleil perçant par les barreaux de ma fenêtre, le jour coulant sur mon visage. Alors mes yeux se rouvrent, brusquement, afin de ne plus y songer ; mais c’est tellement dur. Et je suis si impuissant face à cette vie qui continue, les gens que je rencontre, les nouvelles connaissances que je fais. Comme si rien de tout cela ne s’était passé. Peu de gens sont au courant, cependant je ne compte plus le nombre de fois où l’envie de tout balancer me traverse.
Mon vrai nom est Elias Grimshaw. Je suis né dans une petite ville au nord de Cambridge, en Angleterre. J’étais le cadet d’une famille de trois enfants, une famille modeste qui coulait des jours paisibles dans ladite banlieue anglaise. Mon frère se prénommait Samuel, il est partit il y a maintenant six ans, laissant une mère affligée aux mains d’un père alcoolique. Dire qu’il est partit n’est qu’un euphémisme : Sam s’est fait assassiné, cependant les versions divergent à ce sujet. Il faut dire qu’il n’avait pas le bon profil ; connu pour ses frasques d’adolescent, ses vandalismes incessants et plus tard pour ses problèmes de drogues, il faisait un suspect et même un coupable idéal. A vingt-un, ce gamin – car il en était encore un – insouciant s’était fourré dans une histoire de stupéfiants à n’en plus finir, une spirale qui finit par nous engloutir. Il avait dealé plusieurs mois, parfois à crédit avec des individus qu’il considérait comme des « amis », or la dure réalité avait finit par le rattraper. Ses problèmes d’argent se sont lourdement accumulés, et un jour de décembre deux mille quatre, un individu l’avait froidement assassiné en pleine rue à arme à feu. Ils s’étaient échangés quelques balles et sur le rapport de la police il y avait tout simplement écrit « règlement de compte » et étaient griffonnés un peu plus bas à la main les mots suivants « histoires et problèmes de drogue. » C’était tout. Affaire définitivement classée. Sam avait également était inculpé dans une sale histoire de braquage de banque, il avait toujours clamé son innocence, toutefois celle-ci n’avait jamais pu être prouvée. Sa mort avait définitivement tiré un trait sur cette histoire et les soupçons –infondés pour ma part – avait fait de lui un criminel. Pour la police comme pour tout le monde, Sam était coupable, Sam était un voleur, Sam était un meurtrier et pourrissait désormais en enfer.
Ma sœur, Shyann, est l'exacte antithèse de mon frère aîné. Cependant, son côté influençable me met sur mes gardes. Douce, aimante, attachante. Quand elle se met en rogne, j’ai presque envie de rire tellement ça ne lui ressemble pas. Sa voix suave ne lui permettrait aucune insulte, cependant elle m’étonne encore chaque jour. Elle aussi grandit, et tel un père devant sa fille, je m’émerveille de voir Shyann se transformer en sublime jeune femme. Pourtant elle a déjà vingt ans. On dit souvent que je la surprotège, je ne fais qu’assumer mon rôle. Elle et Sam étaient très proches et la jeune femme fut celle qui mit le plus de temps à faire son deuil, je suis quasiment certain qui lui arrive encore de pleurer en pensant à lui. C’est sans doute une chose qui vous parait évidente, voir normale, ça ne l’est pas pour moi. D’une certaine façon, j’en veux énormément à Samuel. Je lui en veux de n’avoir pas accepté son rôle, de n’avoir pas su protéger sa famille en s’extirpant de ses problèmes et tout d’abord, en évitant les situations délicates. Pourquoi s’était il fourré dans des affaires de drogues ? Je l’avais ainsi vécu comme une sorte d’abandon, il n’empêche que sa présence me manquait énormément. Je passais la plupart de mon temps à éviter de penser à lui, la moindre conversation à son sujet était devenue tabou. En quelques années, depuis ma sortie de cellule, je m’étais forgée une carapace que personne ne parvenait à briser, hormis Shyann. Pour les autres, j’étais Finn Grimshaw, membre des « velvet gangsters », chanteur à mes heures perdues, il m’arrivait notamment de gratter quelques cordes lorsqu’une guitare me tombait sous la main, bien que ma spécialisation restait la batterie. Alignant les petits boulots pour financer mon appartement, finissant généralement mes soirées dans des bars ou dans des soirées arrosées. Finn Grimshaw, le ténébreux musicien, Finn Grimshaw le cynique arrogant, le lunatique mais plaisant compagnon. C’est ainsi qu’on me définissait. Mon humeur change inlassablement, ma sœur étant la première à en faire les frais. Je peux tantôt être jovial et désinvolte, tantôt sardonique et austère. Cependant, je m’assure d’être digne de confiance, et jamais je me permettrais de tromper quelqu’un, dans tous les sens du terme. Je sais m’amuser, mais j’en connais également les limites.
Mon histoire est terriblement longue à raconter alors, je vais me contenter de l’abréger. Damon Burns. C’est le nom du personnage qui a anéanti la vie de mon frère. Le prénom vous informe exactement sur le type d’homme qu’il représente ; un homme cruel, fourbe, sans aucune limite. Je l’ai tué. Etrangement, vous êtes les premières personnes à qui je l’avoue. Ces propos sont tenus secrets, sans quoi je finirais les vingt prochaines années de ma vie dans une cellule de trois mètres carrés. Shyann n’est pas au courant. Quand je me plonge dans son regard, je ne peux m’empêcher de me remplir de culpabilité, tous les jours l’envie de lui avouer la vérité me traverse. Tous les jours. Vous ne pouvez pas savoir à quel point cela me torture, à quel point j’ai mal de lui mentir, mais il le faut ; je me dois de la protéger. Sans connaissance de cause, Shyann m’avait fournit un alibi si solide que les enquêteurs n’avaient pu m’inculper. J’avais tout de même passé quatre mois en prison, car tout, hormis le témoignage de Jal, me condamnait au départ. Jalender Lloyd était ma petite amie à l’époque. Fille d’un homme de pouvoir, nous avions vécu une aventure passionnelle, aventure qui avait tout de même duré trois ans. Si je la définis de cette manière, c’est car nous nous cachions. Jal était promise à un brillant avenir dans le domaine du droit – son père pariait qu’elle deviendrait avocate tandis que le mien pariait que je ramasserais les ordures sur la place publique. Je n’étais pas l’homme qui lui fallait et elle n’a jamais avoué à ses parents que nous sortions ensemble. Pendant trois ans, notre aventure était restée secrète, seuls quelques amis et bien entendu Shyann, étaient au courant. Cependant, nous nous aimions réellement et le jour où elle m’annonça qu’elle me quittait fut ma toute première grosse déception.
Lorsque les enquêteurs avaient réuni assez de preuve pour m’inculper, je fus directement envoyé en prison, après une faible audience où je pus à peine me défendre. Le mobile était sérieux : Par vengeance, j’avais assassiné le meurtrier de mon frère. C’était aussi simple que cela. Seule ma sœur semblait encore me faire confiance. Déjà, ma mère se disait « déçue et trahie », mon père m’avait renié. J’avais beau essayer de me défendre, ils étaient formels : ils ne voulaient plus entendre parler de moi. Cela peut vous surprendre, cependant je n’avais jamais entretenu de bonnes relations avec mon père. Ma mère, elle, restait terriblement passive, ce dont je lui en ai toujours voulu. Alors que mon paternel abaissait la main sur moi « pour me punir » d’une quelconque bêtise étant gosse, elle, restait impassible. Jamais elle n’avait eut le courage d’intervenir devant mon père, cet homme froid et violant qu’elle s’était même mise à craindre au fil du temps. Jalender m’avait façonné un alibi si précis et détaillé que les enquêteurs avaient du se rfin ésoudre à l’accepter. Ajouté à sa situation sociale, l’influence de son père, je fus relâché quatre mois plus tard, faute de preuves. Je suis maintenant certain que Shyann a supplié la jeune femme de me créer un alibi, certaine de mon innocence. Par dépit, Jal m’avait évité la prison mais sous mon terrible silence, elle s’était résolu à mettre à notre relation.
« Je ne peux pas te faire confiance, Elias. Toute cette histoire… c’est bien plus que ce je peux supporter. » m’avait elle susurré avant de tourner les talons. C’était la dernière fois que je l’avais vu.
Peu de temps après ma relaxation, je quittais définitivement l’Angleterre avec Shyann et nous nous envolions pour Sydney, à l’autre bout du globe. Je comptais recommencer ma vie en Australie, oublier toutes les erreurs du passé. J’eus du mal à me résoudre à ‘quitter’ définitivement ma mère, cependant elle ne désirait même plus m’adresser la parole. C’est avec une certaine pointe de nostalgie que j’étais monté dans l’avion ce jour-là, décoller du sol anglais pour ne plus jamais y poser le pied. Ma première idée fut de changer de nom, Elias resta donc sur le sol anglais, laissant place à un tout autre individu, Finn Grimshaw.
« Effacer le passé, on le peut toujours : c'est une affaire de regret, de désaveu, d'oubli. Mais on n'évite pas l'avenir. » OSCAR WILDE